Gamok

Gamok a vu le jour il y a longtemps, sur le continent d’Azeroth. Même si la tribu Warsong vivait dans une paix relative, cette époque était alors considérée par lui comme heureuse. Le père de Gamok, le redoutable Karanga, avait eu grâce à sa force et son courage, l’insigne honneur de devenir membre de la garde d’honneur du Seigneur Thrall. Aussi, sa famille pouvait se targuer de jouir d’un profond respect au sein de la tribu. De tous, Karanga était le meilleur éclaireur, capable de repérer les traces de n’importe quelle proie - animale, humanoïde ou autre - des jours après son passage. Nul ne ramenait autant de gibier de la chasse que lui. Et sa mère, Grishka l’Emeraude, portait les plus belles peaux. Vraiment ces jours étaient bénis.

De ce temps, Gamok se rappelle la douceur du feu le soir au camp, les leçons des ancêtres, les bagarres avec les jeunes de son âge, le regard maternel, l’espoir que Karanga plaçait en son fils. Il devait faire la fierté de sa famille, devenir un plus grand chasseur encore que son père, si une telle chose était possible.
Mais Gamok se souvient également des combats sporadiques contre les humains, et de la soif de sang, malédiction infligée par la Légion Ardente.
Gamok a encore en mémoire le jour où un mystérieux druide corbeau vint parler à Thrall pour le convaincre que ces terres allaient être détruites, et le poussa à mener les siens en Kalimdor.
Gamok avait regardé Azeroth s’éloigner alors que le bateau fendait les flots. Puis, résolument il s’était tourné vers l’ouest et son destin.

Après avoir rencontré et aidé le noble peuple Tauren, les tribus cherchèrent des terres où s’établir. Les Warsong - dont Gamok et sa mère - furent envoyés en Ashenvale, afin d’y implanter une colonie. Karanga, loyal, suivit Thrall et partit mener la guerre contre la Légion Ardente. Il assista à la chute de l’orgueilleux Archimonde et revint vers les siens couvert de gloire et d’honneur. La soif de sang avait disparu, et les orcs se sentaient libres à nouveau, affranchis de l’esclavage imposé par les démons. Maudite soit leur race. La vie prenait un nouveau tournant, la promesse de jours enfin meilleurs faisait frémir de joie les cœurs des miens. Pour peu de temps, hélas…

Le moment vint trop rapidement où la perfide humanité devait trahir ses alliés. L’amiral Proudmoore, contre l’avis de sa clairvoyante fille, décida que les orcs étaient toujours les ennemis des hommes et fit voile vers nos positions en Durotar afin d’éliminer définitivement le peuple de Gamok. Thrall repartit à la guerre. Karanga le suivit. Gamok ne devait plus jamais le revoir.

Thrall lui-même vint annoncer sa mort à Gamok et sa mère. Il narra l’histoire de son combat glorieux, de sa chute honorable au service de son Seigneur. Puis il se tourna vers Gamok, et dit : « l’esprit de ton père n’est pas mort, jeune orc, il vit en toi et tu lui feras honneur. Tu viendras avec moi à Durotar, il est temps de commencer ton instruction. Il est temps pour toi de voler de tes propres ailes ». Gamok regardait Thrall et restait bouche bée, interloqué par l’honneur immense qui lui était accordé. Thrall s’aperçut de son émotion et ajouta alors d’un ton ironique : « à moins que tu ne soies un lâche ? »
Mais Gamok n’était pas un lâche, il n’en est toujours pas un et ne fera jamais partie des couards fuyant devant leurs ennemis pour se réfugier dans le déshonneur. Il fit ses adieux le lendemain même à Grishka. Ainsi débutèrent les épreuves de Gamok, dans la poussière de Durotar.

Lorsqu’il eut atteint le 10ème cercle, Gamok fut convoqué à Orgrimmar, avec l’ordre de comparaître devant Thrall. Il se hâta vers la cité, anxieux de savoir ce que lui voulait le Grand Chef. Sa crainte ne dura pas. Thrall le mit à l’épreuve, lui faisant affronter et manipuler des sectataires d’un sombre culte nommé « La Lame Ardente ». Gamok accomplit cette tâche avec brio, il doit l’avouer, même si sa modestie doit en souffrir. Le Seigneur Thrall alors, lui confia une mission d’importance en ces mots : « Gamok, fils de Karanga, loyal parmi les loyaux, tu n’es pas sans ignorer l’accord que nous avons passé avec les réprouvés de la Dame Noire. Certains d’entre eux se sont unis afin de reformer une ancienne confrérie de mages autrefois connue sous le nom de Kirin Tor. Bien que je ne doute pas de leurs capacités, je pense que la magie, aussi puissante soit elle, ne peut suffire à garantir leur sécurité et l’avancée de leurs recherche. Et celles-ci sont capitales pour la Horde. Aussi, en gage de notre bonne volonté à travailler de pair avec la Reine Sylvanas, je te charge de te présenter au chef de cet ordre, un mage prometteur nommé Jaëden. Fais toi accepter parmi eux, soutiens les, protège les, aide les autant que tu le pourras. »
Gamok avait toujours voulu combattre pour Thrall, à ses côtés, et faillit commettre l’impair de protester. Le chef, dans son admirable sagesse lut son cœur et anticipa ses paroles :
« Sers le Kirin Tor Gamok ! Ainsi tu me serviras, ainsi tu serviras ton peuple et la Horde toute entière. Sois à la hauteur car la tâche que je te confie sera loin d’être aisée, et c’est pourquoi, c’est à toi, fils de Karanga que j’ai décidé qu’elle devait revenir. Et maintenant va ! Que l’esprit de ton père t’accompagne, sois digne de cet honneur. »

Gamok se tourna vers les prairies de Tirisfal…

Grève du village de Sen’jin, Durotar.

Le clapotis des vagues bruissait doucement aux oreilles de l’orc assis sur le sable rouge de la plage. Le ciel azur se reflétait sur la mer au calme trompeur. Les yeux bleus de Gamok étaient songeurs, son regard porté au loin n’apercevait pas les îles de l’Echo pourtant situées à quelques brasses de là. Son armure réparée et graissée ainsi que ses vêtements lavés reposaient sur un rocher à quelques pas. Il était revenu là où tout avait commencé.
Voilà. Voilà que tout était terminé. Il avait abandonné le matin même la tour d’Azshara où le Grand Maître de son ordre avait annoncé son départ pour un périlleux voyage en Northrend. Discipliné, Gamok n’avait rien dit, mais son cœur s’était serré. Jaëden avait été concis. Son ton avait indiqué que sa décision était sans appel. Il partait. Il avait choisi d’affronter le plus inconnu et incertain des défis. Il n’avait pas demandé aux membres de l’ordre de l’accompagner. Ses mots, sans le dire, avaient été sans équivoque : ils devaient rester ici. Il savait pourtant que nombreux étaient ceux qui, parmi les survivants, l’auraient accompagné vers les froides terres du nord et une mort quasi certaine. Et il n’avait pas voulu leur imposer cela. Jaëden savait que Gamok serait venu. Et il lui avait ordonné de ne pas le suivre…
« Folie » pensa l’orc. Mais il s’en voulu presque immédiatement pour cette idée indigne : le Maître savait ce qu’il faisait. Ne les avait il pas toujours dirigés jusque là ?

Et maintenant ? L’Ordre était dissout. Le Kirin Tor avait cessé d’exister. Une seconde fois, l’Ordre des mages et érudits disparaissait. Sûrement à jamais. Gamok baissa les yeux sur sa main gauche, observant l’insigne que ses doigts faisaient tourner et retourner compulsivement. Grand Exécuteur du Kirin Tor. Soudain, la signification de cet honneur lui échappait. Quel sens a tout ceci ? Ce n’était pas tant la perte de sa position et de son rang, de ses responsabilités - quelque part il en était soulagé -, ni la dissolution de l’Ordre en lui même (il se moquait éperdument du premier Kirin Tor, il s’était même réjoui à l’époque du fait que l’orgueil des mages humains ait provoqué leur chute), mais tous ses compagnons d’armes et amis… Il perdait sa maison et sa raison d’être. Depuis qu’il avait rallié Orgrimmar après sa formation en Durotar, il avait servi l’Ordre fidèlement, et l’Ordre lui avait donné en retour bien plus que ce qu’il aurait pu espérer. Et il se sentit tout à coup seul et désemparé.

La douce brise qui soufflait de la mer fut submergée par un vent venu de l’Ouest, faisant se déposer sur le dos et dans les cheveux de l’orc la poussière rouge de Durotar. Son regard se posa sur son attirail. « Cela valait bien le coup de le nettoyer », pensa t’il non sans ironie. Mais il entretenait ses armes et armures tous les jours. C’était ainsi. C’était la guerre. Et celle ci ne semblait jamais devoir s’arrêter.

Déployant son corps massif et musculeux, il se redressa sur ses jambes et passa autour de son cou la chaîne au bout de laquelle se balançait l’insigne symbolisant son titre de Grand Exécuteur. Il avança de quelques pas et s’enfonça progressivement dans l’eau réchauffée par le soleil. Un gros claqueur s’éloigna rapidement de lui, ne voulant pas risquer une mort stupide. Gamok se prit à flotter entre deux eaux, laissant le faible courant le déporter quelque peu. Quelques minutes passèrent. Quelques minutes de paix gagnées. Il ne pensait plus, il savait. Il regagna le sable, ôta la lourde chaîne d’autour de son cou. Il contempla une dernière fois le médaillon, et d’un geste leste le jeta au loin. L’insigne de Grand Exécuteur du Kirin Tor ricocha plusieurs fois à la surface de l’océan, refusant de s’y enfonçer. Mais il finit par être englouti et disparu.

Le regard de Gamok était à nouveau résolu et fier alors qu’il réajustait sa cotte de mailles. Il saisit ses sacs, ses armes et son arbalète et siffla entre ses dents. Un grand félin couleur du désert et un loup de monte approchèrent du chasseur. Il s’installa sur le dos du loup des bois et annonça : « si Gamok veut nous nourrir, il doit chercher du travail. Et il sait où en trouver. »

Ils prirent tous trois la direction de Ratchet. La guerre continuait.